Bucatini, girolles, saumon fumé & crème d’aneth

Thomas n’aurait jamais cru croiser Soral ce jour-là. Ni dans cette supérette du 14e, ni dix ans après leur dernière conversation, ni entre deux conserves de pois chiches.

Un silence, puis un « salut » flottant, sec, presque gêné.

Ils n’ont jamais su ce qui les avait fâchés. Une phrase mal placée ? Un oubli ? Une accumulation de petits riens, sûrement. Mais dix ans, c’est long pour si peu. Et midi approchait.

— Y’a un italien au coin de la rue… dit Thomas.
— On a bien mangé pire ensemble, répondit Soral.

Le petit resto sentait l’ail, la crème et quelque chose de boisé. Bucatini girolles, saumon fumé et crème d’aneth. Le serveur n’avait même pas fini de décrire le plat que leurs deux voix avaient dit « on prend ».

D’abord, le silence. Puis, une tentative de Soral :
— Tu sais, je me rappelle plus pourquoi on s’est…
— Moi non plus.

Un soupir, un frisson. Puis le serveur est revenu, penaud :
— Messieurs… il reste un seul plat de bucatini. On a eu un petit souci… une cliente a glissé sur une girolle.

Ils se sont regardés, interloqués.
Soral a éclaté de rire. Thomas a suivi. Un rire franc, bête, salutaire. Le serveur les regardait, confus. La tension avait fondu comme du beurre dans une poêle chaude.

Puis Thomas, avec son vieux rictus de l’époque :
— On partage ?

Ils ont mangé à même l’assiette, en trinquant à la girolle traîtresse.

On ne saura pas s’ils se sont revus. Mais ce jour-là, à Paris, entre crème d’aneth et amitié écornée, le hasard avait bien fait les choses..